Les aspects conflictuels du don de soi dans le mariage (2)
b) facteurs involontaires
La discretio iudicii est un concept positif qui désigne la capacité de jugement que la personne acquiert progressivement au cours de son développement psychique normal. En revanche, la pathologie de la discretio iudicii est un concept négatif qui implique l'anomalie de ne pouvoir faire quelque chose iuxta normam , et non pas celle de vouloir faire quelque chose contra normam. Comme le dit Mgr Mario Pompedda, "en général, il faut considérer l'homme capable de se marier; c'est en conséquence l'incapacité qui constitue quelque chose d'extraordinaire" (cfr "Incapacitas adsumendi", in Periodica 1986, pp. 138-140).
La double hypothèse du canon 1095 §§ 2 et 3 envisage le cas de celui qui, à cause d'un déficit psychique grave, est incapable soit de comprendre de manière adéquate le contenu essentiel du mariage (§2), soit d'assumer ses responsabilités essentielles (§3). Une correcte application du canon tourne autour des deux points suivants: d'une part, la gravité de la pathologie ou de l'anomalie psychique dont il s'agit; d'autre part, la nature essentielle des droits et obligations du mariage sur lesquels la pathologie produit son effet en terme d'incapacité.
La jurisprudence rotale est pratiquement unanime quant à la nécessité de la gravité de l'anomalie, même si les juges ne sont pas toujours d'accord dans les cas concret sur le degré de gravité de l'anomalie. Elle s'accorde également que l'incapacité à assumer, résultant d'une anomalie psychique, doit affecter une obligation essentielle du mariage; mais elle diverge quant à savoir exactement quelles sont les obligations essentielles.
Théoriquement parlant, personne ne conteste que l'anomalie doit être grave. L'énoncé même du canon 1095 ne laisse d'ailleurs planer aucun doute à ce sujet. Le législateur lui-même a voulu donner une interprétation authentique dans ses allocutions à la Rote en 1987 et 1988: "une véritable incapacité ne s'avère qu'en présence d'une grave forme d'anomalie qui, quelle qu'en soit la définition, doit atteindre substantiellement la capacité de comprendre ou de vouloir du contractant" (AAS 79 (1987), p. 1457); et l'année suivante:"compte tenu que seules les formes les plus graves de psychopathologie parviennent à atteindre la liberté substantielle de la personne" (AAS 80 (1988), p. 1182).
Autrement dit, l'anomalie doit se rapporter aux aspects essentiels du don conjugal et non à ses aspects purement incidents ou accidentels, et moins encore aux autres aspects de la vie humaine. Cela relève du bon sens. Puisque la jurisprudence rotale n'a cependant pas atteint une suffisante convergence quant à la détermination de ces obligations essentielles, je m'en tiendrais à ce qui me semble l'opinion prédominante.
Les obligations essentielles du mariage sont les obligations si fondamentalement liées à l'essence du mariage qu'à défaut de capacité de les comprendre ou de les assumer, il devient absolument impossible de constituer le mariage ou de le faire exister. En premier lieu, telles sont évidemment les obligations découlant des tria bona augustiniens, l'exclusivité, la procréativité et la fidélité, qui, depuis toujours, ont été essentiellement caractéristiques du mariage qui ne peut exister sans l'acceptation de ce que ces trois biens impliquent nécessairement, ni sans la capacité de les comprendre ou de les vivre dans leur contenu essentiel. Aussi, une sentence coram Pinto du 8 juillet dit à ce propos: "Il ne faut pas perdre de vue que ce n'est pas n'importe quel défaut qui suffit à déclarer nul le mariage; il doit être grave au point de rendre le contractant incapable de choisir librement et d'assumer les obligations essentielles des tria bona" [15]. De même, une sentence coram Pompedda du 3 juillet 1979 dit également: "Une quelconque défaut d'équilibre ou de maturité ne suffit pas pour produire la nullité du consentement matrimonial; il faut un défaut tel qu'il rende le contractant incapable de choisir librement ou d'assumer les obligations essentielles, concrètement les trois biens du mariage. Le mariage ne peut en effet être considéré comme le sommet de la maturité déjà atteinte, mais comme une étape dans le processus vers une pleine maturité" [16].
NOTES
[15] "Prae oculis habendum est non quemlibet defectum sufficere ad matrimonii nullitatem declarandam, sed tantum debere esse, qui contrahentem liberae electionis peragendae vel trium bonorum essentialia onera assumendi incapacem reddat" (SRRD, vol. 66, p. 501).
[16] "Non quivis defectus aequilibrii vel maturitatis sufficit ad inducendam matrimonialis consensus nullitatem : istam inducere tantummodo valet defectus talis qui contrahentem efficiat incapacem liberae electionis vel adsumendi onera essentialia atque in specie tria connubii bona. Matrimonium scilicet haberi nequit culmen maturitatis acquisitae, sed potius gradus in processu ad pleniorem maturitatem acquirendam" (SRRD, vol. 71, p. 388).